
VIOLENCES SEXUELLES
Le jeudi 3 avril 2025 dans le prestigieux Palais Niel à Toulouse a eu lieu un séminaire du Master MS ISSD portant sur un sujet d’actualité aussi grave que crucial : les violences sexuelles. Ce séminaire marque à nouveau le partenariat qui a été signé en septembre 2024 entre l’université de Toulouse et la DMD 31 où pour la seconde fois cette année, nous avons eu le privilège d’être accueilli dans ce très bel édifice du 19ème siècle.
Plusieurs experts du droit et de la santé étaient bien au RV en présence des stagiaires du Master MS ISSD, des membres de l’AOR 31, de l’AR 19 IHEDN, du SDIS 31, de la Gendarmerie (officiers : gendarmerie, médecin chef…).
Un grand merci au Général Danigo et à son équipe pour leur accueil et merci à Madame Odile Rauzy, Présidente de l’université de Toulouse pour sa présence..
Ouverture de la séance
Le séminaire a été ouvert par les organisateurs en présence de nombreuses personnalités du monde judiciaire, académique, médical et militaire.
Un hommage a été rendu à Jean-Philippe Durieux, récemment nommé président de l’Union Nationale des Officiers de Réserve.
Le séminaire vise à offrir un espace d’échange interdisciplinaire sur un sujet d’une gravité constante : les violences sexuelles, omniprésentes dans tous les milieux sociaux.
Propos introductifs
Maître Claire Sourzat, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles
Constat sociétal : La banalisation médiatique des affaires (Barbarin, Duhamel, PPDA, etc.) reflète une urgence juridique et sociale.
Évolutions législatives :
– Proposition de loi du 1er avril 2025 sur la redéfinition du viol intégrant la notion de non-consentement.
– Allongement du délai de prescription à 30 ans après la majorité de la victime (loi de 2018), puis mécanisme de prescription glissante (loi 2021).
Diagnostic social : Seulement 1 Français sur 3 se sent bien informé. Les violences sexuelles restent sous-estimées et peu dénoncées.
Rappel légal : L’obligation de signaler une infraction sexuelle sur mineur ou personne vulnérable s’applique même si les faits sont prescrits. L’absence de signalement peut entraîner 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende.
Le secret médical et la dénonciation
Marie Carrasco-Daeron, avocate et Docteur en droit
Dilemme juridique : Entre le secret professionnel (protégé constitutionnellement) et l’obligation de dénonciation.
Articles clés :
– 226-13 : Secret professionnel interdit de révéler.
– 226-14 : Exceptions pour violences sur mineurs/personnes vulnérables.
– 434-3 : Obligation de signalement mais pas pour les professionnels tenus au secret,sauf disposition contraire.
Aménagements récents : Le signalement est autorisé sans consentement en cas de violences conjugales avec danger immédiat.
Conclusion : Le signalement doit être vu comme un acte de protection, et non une trahison du patient.
Violences sexuelles dans le sport
Maître Cécile Chaussard, Maître de conférences en droit public
Constat alarmant :
– 60 % des violences sexuelles dans le sport ont lieu entre sportifs.
– Révélation publique avec le livre de Sarah Abitbol en 2020.
Mesures administratives mises en place :
– Contrôle d’honorabilité (casier judiciaire et FIJAIS).
– Signalement via Signal-Sports (1800 cas en 2024, 77 % concernent des mineurs).
– Pouvoir disciplinaire des fédérations : parfois plus efficace que le pénal, car non limitépar la prescription.
Limites :
– Faible pouvoir d’enquête des fédérations.
– Écarts dans la proportionnalité des sanctions.
– Difficulté à établir les faits sans preuves, surtout 20-30 ans après.
Amnésie traumatique
Dr. Leatitia Dupuch, médecin-psychiatre-sexologue
Définition : Trouble reconnu dans le DSM-5 (2015), où un traumatisme provoque une dissociation de la mémoire.
Mécanisme :
– L’amygdale bloque le souvenir dans une « boîte noire », inaccessible à la mémoire autobiographique.
– Les souvenirs ressurgissent de façon fragmentée, souvent des années après.
Conséquences judiciaires :
– Difficulté de récit cohérent.
– Problèmes de preuve.
– Refus de la jurisprudence française de reconnaître l’amnésie traumatique comme cause de suspension de prescription (contrairement à l’amnésie médicamenteuse).
Objectif : Comprendre et mieux accompagner les victimes.
La preuve en matière de violences sexuelles
Elsa Servant, Vice-Présidente chargée de l’instruction du Tribunal Judiciaire de Montauban
Difficulté de preuve : Absence de témoins, délais, mémoire fragmentée, manque de traces médico-légales.
Méthodologie :
– Analyse des déclarations (cohérence, vraisemblance, emploi du temps).
– Recueil de preuves périphériques (journaux, SMS, dossiers médicaux).
– Expertises psychiatriques et psychologiques pour évaluer la personnalité et la crédibilité.
– Auditions des enfants, parfois avec chiens d’assistance.
Confrontation : Rare et encadrée, déconseillée en cas de risque de traumatisme.
Problème structurel : Manque de moyens humains et matériels pour instruire les affaires efficacement.
Couple et violence sexuelle
Jonathan Bomstain, Avocat, Dr droit, membre du Conseil de l’Ordre, Barreau de Toulouse
Une origine patrimoniale du mariage:
– Le mariage a longtemps été conçu comme une institution patrimoniale et de procréation, non fondée sur le sentiment amoureux mais sur la transmission, la stabilité sociale et la survie de l’espèce.
– Dans cette conception, le couple est une cellule fermée, difficilement pénétrable par lajustice.
L’absence historique de consentement sexuel dans le mariage :
Jusqu’au XXe siècle, la femme était perçue comme soumise au mari, y compris sexuellement.
Citation du code canonique de 1917 : le mariage implique une donation réciproque du corps à des fins de procréation.
Le droit pénal n’a reconnu le viol entre époux que très tardivement :
– En 1791, le viol est défini comme une atteinte à la propriété de soi, donc inapplicable à la femme mariée.
– En 1832, l’usage de la force par le mari n’est pas considéré comme un viol, même encas de séparation.
– En 1990, la Cour de cassation reconnaît timidement la possibilité d’un viol conjugal.
– En 1992, elle affirme que la présomption de consentement entre époux peut êtrerenversée.
– En 2006, le viol conjugal est intégré au Code pénal avec présomption simple.
– En 2010, cette présomption est supprimée : toute pénétration sexuelle non consentie est un viol, même dans le mariage.
L’évolution récente du droit
28 janvier 2025 : Adoption en 1ère lecture d’un texte introduisant dans l’article 222-23 du Code pénal :
– L’obligation de rechercher un consentement libre et conscient.
– Le refus implicite (absence de résistance) ne peut plus être interprété comme un accord.
Introduction du “contrôle coercitif” :
– Ensemble de comportements (psychologiques, économiques, sociaux…) instaurant chez la victime un état de contrainte ou de peur.
– Permet de mieux cerner les contextes de violence non physique mais destructrice.
– Jonathan Bomstein reste réservé sur sa pénalisation mais souligne son utilité probatoire pour caractériser le viol.
Un double discours juridique : schizophrénie entre droit civil et pénal
Jusqu’en 2025, la France tolérait qu’un homme soit sanctionné au pénal pour viol conjugal tout en gagnant au civil un divorce pour faute, si son épouse refusait les rapports sexuels.
Cas emblématique : arrêt de la Cour d’appel de Versailles (2019) condamnant une femme malade pour « refus de relations sexuelles », qualifié de « violation grave du devoir conjugal ».
Cour européenne des droits de l’homme (arrêt du 23 janvier 2025) :
– Condamne la France pour cette conception archaïque du devoir conjugal.
– Affirme que refuser une relation sexuelle ne peut être une faute, même dans le cadre dumariage.
– Refonde le devoir conjugal sur le respect mutuel, non sur l’obligation sexuelle.
Conclusion
La complexité juridique et psychologique des violences sexuelles.
La nécessité d’une formation interdisciplinaire pour tous les professionnels impliqués.
L’importance de mesures administratives et disciplinaires complémentaires à l’action pénale.
Le rôle central de la prévention, de la sensibilisation et de la libération de la parole.




